lundi 14 mars 2011

MESURE DE NATIONALISATION DE LA COMMERCIALISATION ET DE L’EXPORTATION DU CAFE ET DU CACAO PAR M. LAURENT GBABGO : QUELLE PORTEE SUR LA FILIERE ?


Depuis la crise post électorale du 28 Novembre 2010, l’on assiste à un véritable chassé-croisé entre les deux principaux protagonistes de cette crise majeure. Les manœuvres se succèdent de part et d’autre. Tant au plan politique, diplomatique, militaire que économique. La dernière en date est la décision de M. Laurent GBAGBO de vouloir nationaliser la commercialisation et l’exportation du café et du cacao. En réponse à la mesure de suspension des exportations de ces produits décidée par son rival Alassane OUATTARA.

Quelle est la portée de la décision prise par M. Laurent GBAGBO ?
Après une analyse des enjeux de la bataille de tranchée que se livrent les deux camps dans cette filière (I), nous exposerons les procédures actuelles de commercialisation et d’exportation pratiquées (II) pour enfin apprécier les limites de la mise en œuvre de la décision de M. GBAGBO dans le contexte actuel de la Côte d’Ivoire (III).


I- LES ENJEUX DU CONTROLE DE LA FILIERE CAFE CACAO

Ces enjeux s’analysent autour de la position mondiale de ces produits d’une part (A) et de leur impact sur les finances publiques d’autre part (B).

A- La position mondiale du café et du cacao made in C.I

Si la Côte d’Ivoire arrive au 5e rang mondial des pays producteurs de café. C’est bien dans le domaine du cacao que ce cher pays excelle. En effet, avec environs 1.500.000 tonnes produits chaque année en moyenne ce qui représente 40% de la production mondiale. La Côte d’Ivoire se hisse depuis bien des années au 1er rang des producteurs mondiaux de cacao. Les perspectives faisaient même état d’une hausse de 10% de la production sur la campagne 2010-2011. Toute chose égale par ailleurs. Ainsi, la Côte d’Ivoire est non seulement le premier  pays producteur mais également le premier exportateur mondial de cacao. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’on constate toujours un affolement des cours mondiaux de ce produit au London Commodity Stock Exchange (L.S.E) chaque fois qu’il y’a une réelle ou supposée instabilité politique en Côte d’Ivoire.
Mais quel impact a cette position concurrentielle dominante sur les finances publiques ivoiriennes ?

B- Impact sur les finances publiques en Côte d’Ivoire.

Le secteur agricole est le premier secteur d’activité en CI. Or, la culture du café et du cacao constituent la part la plus importante de ce secteur agricole. D’où des retombées importantes en termes d’impôt sur les Bénéfices Agricole et Commercial. Toujours au plan des prélèvements fiscaux, outre le D.U.S (Droit Unique de Sortie) qui représente une source d’alimentation importante des recettes publiques, vous avez aussi les prélèvements parafiscaux effectués par le C.G.F.C.C (Comité de Gestion de la Filière Café Cacao). Par ailleurs, il ne faut pas négliger l’effet entraînant d’un bon fonctionnement de la filière café cacao sur des activités tels que le transport. De plus, la filière café cacao représente 30% du P.I.B (Produit Intérieur Brut) de la Côte d’Ivoire.
Toutefois, l’existence de cette activité est mise en œuvre par des procédures.



  
II- LES PROCEDURES ACTUELLES DE COMMERCIALISATION ET D’EXPORTATION

Elles concernent la commercialisation d’une part (A) et l’exportation d’autre part (B).

A- La commercialisation

Après la production, le cacao est soit vendu bord champ ou groupé pour le compte des coopératives qui se chargent de la vente au nom des adhérents de la coopérative. Les achats sont ensuite le fait de représentants soit des sociétés de négoce, d’entreprises industrielles ou d’entreprises exportatrices. Il faut préciser qu’il s’agit d’entreprises privées (filiales de grands groupes occidentaux pour la plupart) disposant de fonds importants pour effectuer les achats. L’Etat ne jouant ici qu’un rôle purement et simplement régalien. Il va sans dire que l’existence de la concurrence dans ce milieu d’affaires est en principe un gage de compétitivité et par conséquent de prix d’achat satisfaisants. Même si dans la pratique, la trop forte implication de nombreux intermédiaires émiette les prix d’achat aux producteurs.
L’exportation constitue une autre phase importante dans la chaîne des opérations de ces produits.

B- L’exportation

Elle est exclusivement du ressort des entreprises exportatrices et concerne les matières premières ou produits dérivés tels que les fèves, la poudre, le beurre et les masses pour ne citer que ceux là. Tous ces produits vont ensuite se retrouver chez les artisans ou industriels chocolatiers après les ventes préalablement effectués sur les marchés spéculatifs. Il va sans dire que les activités portuaires ont une place prépondérante dans les transferts de flux physiques. Le constat c’est que beaucoup d’acteurs du secteur privé exercent dans la filière café cacao. De ce fait une nationalisation précoce et sous contrainte de certaines activités de cette filière par le camp Laurent GBAGBO présente bien des limites.
 

III- LES LIMITES DANS LA MISE EN ŒUVRE DE LA DECISION DE M.GBAGBO VU LE CONTEXTE ACTUEL DE LA C.I

La nationalisation est l’acte par lequel un Etat décide de prendre en charge des activités économiques qui étaient initialement dévolues à des particuliers. Dans le cas de la Côte d’Ivoire, cette mesure présente des limites liées à la commercialisation d’une part (A) et à l’exportation d’autre part (B).

A- La commercialisation

En voulant se substituer aux acheteurs, l’administration Laurent GBAGBO reste confronté au problème de moyens financiers pour effectuer les achats. En effet, cette activité nécessite des capitaux importants. Or, même si l’administration GBAGBO n’est pas encore en situation de cessation de paiement, celle-ci éprouve déjà bien des difficultés à honorer ses engagements classiques en termes de dépenses publiques. A fortiori, dégager des fonds pour des investissements d’achat de fèves de cacao.
La mobilisation de fonds d’investissement privés nationaux ou internationaux aurait pu constituer une alternative. Mais ne jouissant d’aucune légitimité internationale et eu égard à la grave crise monétaire et financière qui frappe la C.I, cette solution est vouée à l’échec.

B- L’exportation

L’administration GBAGBO veut exporter les stocks de cacao. Mais cette décision se heurte à la mesure d’interdiction aux navires européens de desservir les ports ivoiriens. Dans la pratique, l’on constate l’application effective de cette mesure. Car les ports d’Abidjan et de San pédro restent désespérément vides. D’où la difficulté pour l’administration GBAGBO de pouvoir affréter des navires.
L’administration GBAGBO veut vendre les stocks de cacao sur le marché international. Mais là encore l’illégitimité de cette administration pourrait emmener les institutions internationales à la mise sur pieds d’un embargo international sur le café et le cacao made in C.I. Toutefois, l’administration GBAGBO voudra certainement faire appel à son duo de "sauveurs patentés". A savoir la RUSSIE et la CHINE. Cependant, le niveau de consommation du cacao dans ces deux pays reste relativement faible (7,4% pour la RUSSIE) comparativement à celui des pays occidentaux (80%). L’on va donc assister à un rétrécissement et à une canalisation du marché. L’administration GBAGBO va finalement se retrouver sur un marché d’oligopsone (quelques acheteurs pour beaucoup de vendeurs). Avec en sus une élasticité prix de la demande qui va baisser.
Le projet de nationalisation de M.Laurent GBAGBO présente bien des handicaps qui semblent insurmontables dans le contexte actuel de la Côte d’Ivoire.


En définitif, au regard des procédures de commercialisation et d’exportation en vigueur dans la filière et compte tenu des nombreuses limites auxquelles sont confrontées M. Laurent GBAGBO dans la mise en œuvre de son projet de nationalisation. Nous pouvons affirmer que cette mesure ne peut avoir une portée significative dans le contexte actuel de la Côte d’Ivoire. Comme c’est le cas pour certaines banques commerciales, le baroud d’honneur qui consiste à nationaliser à tour de bras semble avoir un effet plus médiatique que réaliste. A moins que l’on assiste, non pas à une prétendue nationalisation mais plutôt à de véritables expropriations somme toute illégale.

Famoro KOULIBALY
Diplômé Polytechnique C.I
Maîtrise en Sciences de Gestion, UFR des Sciences Economiques et de Gestion (Université d’Abidjan Cocody)